Il est des jours où je tombe, je glisse et m'ennuie.
Mais je tombe tout doucement comme sur une pente très douce, sur une couverture de laine ou en velours.
Un retour au ventre de la mer, ou un morceau de nuage.
Une chute un peu comme un envol et l'étreinte de l'air autour se fait caresse douloureuse mais caresse toujours.
Tout me traverse et fuit et, tandis que mes sens sont perméables aux flux du monde, il en passe parfois de si forts, qu'il ne me parait possible d'en goûter que le flottement froid qui submerge, une vacante désespérance.
Ainsi que tout le reste, mon identité flotte et s'évapore dans le flux perpétuel. Un nom n'a plus de raison d'être, de pouvoir quelconque, il n'est que l'effort vague pour pêcher ce qui ne peut l'être.
Je n'ai donc plus du nom, et de même, les noms de tous s'en vont.
Etre si avidement perméable me soumet au danger de la noyade. Ces vagues de sensations qui animent et bercent mes secondes, les illuminent même bien souvent, peuvent être de bien cruelles ennemies : Ici, lorsqu'une tempête fait rage soudain et que le silence roule avec fureur l'écume de ses profondeurs, alors je ne suis plus qu'un grain de sable impuissant, perdu dans le mouvement abyssal.
Et ce devient une errance très douce. Il n'y a pas de douleur fulgurante, avilissante, acharnée. Le flux m'entraîne, soumettant ma volonté à sa force motrice.
J'ouvre la fenêtre avec le geste bleu du matin, écarte les rideaux.
Fais chauffer un thé.
Evolue dans les rues. Vogue, flotte.
Je me sens à peine.
Je me sens ne pas être.
"Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself"
Je me sens d'humeur à m'envoler et depuis ce matin, cettephrase me trotte dans la tête en rond.
En rond, elle tourne, me fascine, aère d'aucunes des formes vivantes alentours. Qui est là, qui ne l'est pas. Cette phrase, la sournoise, me caresse.
"And then, thought Clarissa Dalloway, what a morning - as if issued to children on a beach.
What a lark ! What a plunge !"
Seulement ça : What a morning !
Qui se lève puis se baisse inlassablement.
Et de même à l'image du temps, je m'étire, m'élève pour retrouver ensuite le bas.
Rien ne dure pourtant. Pas même le bas.
Et ainsi, à nouveau l'élévation prochaine.
Le jeu de yoyo incessant.
Equilibre, équilibre. Toujours et le plus dur.
Mais ce bas, qui revient assidu, ne glisse-t-il pas en moi, à force de retour, des souffles froids qui s'emprisonnent profondément ? S'attachent à mes os et les glacent ?
Me donne le goût terrible de la submersion, de l'oubli de soi dans ce qui n'a ni goût ni odeur, dans la futilité de l'existence.
L'addiction à la mer ; à l'évanouissement.
Je ne suis peut-être plus tout à fait une femme en certains jours mais deviens ce flux qui me noit.
"She sliced like a knife through everything ; at the same time was outside, looking on. She had a perpetual sens, as she watched the taxicabs, of being out, out, far out to sea and alone ; she always had the feeling that it was very, very dangerous to live even one day"